De Charles Reznikoff, le début de À la source du vivre et du voir, traduit de l’anglais (États-Unis) par André Markowicz, Editions Unes.
1Mon grand-père, mort longtemps avant ma naissance,
est mort parmi des étrangers; et tous les vers qu’il a écrits
ont été perdus –
sauf ce qui
parle encore à travers moi
comme étant mien.
2
Ma grand-mère, dans son grand âge,
vendait de l’orge et du gruau sur un étal
au marché. Elle ne mesurait pas ses céréales
plus soigneusement
que moi les minutes.
3
Chaque fois que ma soeur répétait
un certain morceau de piano
et arrivait à un certain passage –
un peu médiocre, pensait-elle –
un oiseau se posait sur le rebord de la fenêtre
et chantait quelques notes.
L’oiseau devait avoir entendu
ce que l’interprète
et peut-être le compositeur lui-même
n’avaient pas entendu; et ceci me rappelle un proverbe indien:
l’oeuvre d’art a plus d’un visage.
4
Les fenêtres donnaient sur des murs aveugles,
on travaillait à la lumière des lampes toute la journée,
l’été et l’hiver, le printemps et l’automne;
sur chaque bureau brillait une ampoule.
Un matin, je me suis assis chez moi
pour lire ou écrire et réfléchir un petit moment:
la lumière était si merveilleuse!
elle éclairait la table, la pièce, et la rue,
les maisons voisines et le ciel;
si clair, chaque objet dans la pièce,
si claire, la vue de la pièce et de la rue;
si calme, douce et merveilleuse, la lumière –
juste celle du soleil.